Tranches de vie

Manas

Un nouvel article est venu s’ajouter à notre ménagerie ambulante : Manas, chaton, 20 cm, 300 grammes, 5 semaines, yeux bleus comme Isabelle. Adopté sur le quai d’une gare au Kirghizistan, cette seconde tocade animale est venu remplacée le feu Tamerlan. Et c’est pour nous consoler que nous supposons la réincarnation de cette ex boule de plume en boule de poil.On aurait pas donner chère de sa peau de chat. Les yeux clos de pus, le poil mouillé et éparse, tremblotant comme une feuille morte, il avait à peine quelques jours quand un gamin nous le jette dans les bras avant de prendre le train pour Bichkek. Attendrissement, pitié, charité chrétienne, instinct paternel ou simplement sentiment du devoir, le fait est que nous prenons cette petite âme sous notre sainte protection et tâchons de trouver un vétérinaire. Le premier nous montre une seringue et nous enjoint avec un sourire à piquer l’animal, le deuxième, plus compréhensif, nous explique qu’il faut lui donner du lait maternisé.C’est ainsi que depuis un mois et demi, nous nourrissons un chaton au biberon. Que ce soit dans le bus de nuit bondé d’Almaty, dans les gare russes de Sibérie occidentale ou au fin fond de l’Altaï, partout, mongols, russes ou kazakhs ont droit au même tableau : quatre grands et forts gaillards donnant tour à tour le sein à un mignon petit chat. Elevé sur les pistes caillouteuses et sableuses des steppes, dans le duvet chaud de la toile de tente, c’est entre les roues de vélo que Manas a fait ses premiers pas. Soucieux de son éducation, nous l’entrainons à escalader les arbres, à sauter des rochers, à nager dans les torrents. Puis il a la leçon de paysage, la tête dépassant de son panier accroché à l’avant du vélo, il contemple le grand livre de la nature et nous livre le soir au coin du feu à défaut de poêle ses miaous cartésiens de cyclo chat.Manas est devenu notre chat de garde. Les mongols, crème de la barbarie historique, qui ont conquis la moitié du monde à dos de leurs chevaux et par là massacré la moitié de l’humanité, ont une peur bleue des chats. Espèce peu répandue en Mongolie, petits et grands sautent a l’arrière du comptoir lorsque nous sortons de la poche ce bébé tigre. Mais chaton fait aussi des jaloux. Objet de toutes les attentions et de toutes les tendresses, ils récolte le gros des caresses, chatouilles et gratouilles de la bande. Et même la place au chaud au fond du sac de couchage d’Arif alors que secrètement certains rêvent de s’y blottir depuis des mois. Si bien, qu’on entend parfois grincer dans un soupir de dépit : « pourquoi ne suis-je pas né chat ».