Tranches de vie

Dunes et Eclairs

Une nuit précédent notre arrivée à Ulan Bator est arrivée une chose extraordinaire. Mère nature, bonne maman des cyclistes nous a préparé une surprise. Nous traversons la grande plaine qui nous mènera à Ulan Bator, cette Jérusalem des yourtes, Sion des nomades qui marquera la fin de notre voyage. A gauche, apparaissent des dunes, hautes et dignes, rendues rouges par le soleil qui se couche. Pour cette avant dernière nuit, nous planterons la tente dans les sables, heureux une dernière fois de s’isoler des hommes. Bientôt les murs de notre chambre étudiante remplaceront les murs de sables de ces dunes, un plafond sale couvrira notre bout de ciel bleu et une table de nuit recueillant smartphone, ordinateur portable et Netflix se substituera au buisson épineux et à la clope métaphysique sous les étoiles. C’est ainsi, nous le savons. Aussi fortifiée que notre volonté a pu être durant ce voyage, l’homme est faible devant les joujoux numériques et discutailler Proust et vie après la mort au coin du feu ne reviendra pas de sitôt. Excusez donc d’avance nos mines rêveuses et mélancoliques lorsque au diner de famille du dimanche midi ou à la soirée du jeudi soir, nous mettrons un peu de temps à passer la salière ou le pack de bières Heinecken. Les plus attentifs remarqueront alors peut être juste en deçà du blanc des yeux cette flamme verte commune aux grands voyageurs en retraite, ce petit ange des steppes, ce grain de sable du désert qui, resté coincé au coin de l’œil reconstitue au détour d’une pensée les tableaux de notre ancienne vie de vagabonds. Juste après manger, nous entendons le tonnerre gronder au loin marquant les trois coups du début des festivités. Curieux, nous montons sur la crête de la plus grande dune de notre bout de désert. Toutes les deux secondes, le ciel est déchiré d’éclairs blancs. Ces derniers, d’une telle force et d’une telle régularité illumine le plat de la steppe si bien que nous distinguons la route, les habitations, la laine verte de l’herbe comme en plein jour. Il ne pleut pas encore, nous sommes des privilégiés. Assis tous les quatre, sans bruit sur cette grande dune imberbe, nous contemplons le feu d’artifice, ce spectacle grandiose de sons et lumières. Les fusées montent et explosent dans la nuit des étoiles, en rase motte dans la plaine, en pétard mouillée dans le tonnerre. Le spectacle sonore et visuel est tel que le sentiment du sublime nous envahit. Cette impression rare de l’effroi devant une beauté saisissante, une puissance surnaturelle et presque mystique, un grand inexplicable qui nous fait nous sentir tout petit. C’est notre avant dernier soir avant la grande arrivée à Ulan Bator, avant notre retour dans la communauté des hommes. Dans deux jours, nous rendrons les clés de la tente aux feux folets des steppes et reprendrons le chemin des villes. Ce grand théâtre qu’est la terre, dans lequel nous avons roulé, mangé, dormis et sué pendant six mois nous rend notre labeur dans un dernier numéro, un pot bien arrosé d’au revoir. Nous avons été, ce soir là, comblés comme des petits enfants.