Tranches de vie

France Culture dans le guidon

Vous le pensez tout bas mais vous n’osez pas nous le demander tout haut. Autant percer l’abcès maintenant. Cela fera déjà dix minutes de bla bla en moins lors de de la soirée gala des retrouvailles et on pourra commencer à boire plus tôt. Que diable faisiez-vous toute la journée sur votre vélo ? Ce n’est pas un peu emmerdant à force de passer toute la journée à rien faire ? Les cyclo-prétentieux, race hélas de plus en plus répandu sur les routes à l’instar de leurs cousins les cyclo-vegans, vous diront : je médite. Au plutôt je m’introspective, fais le point sur ma vie au rythme des paysages qui défilent, explore les méandres de mon moi profond, de ma personnalité riche et féconde, de mes motivations de voyage à vélo, hautes, sublimes et surtout incomprises par le commun des mortels à pied. Nous serons direct : l’effort déployé pour la rotation des pédales empêche les réflexions autres qu’alimentaires. La marche le permet, cela est vrai, plus lente, d’un effort plus diffus, elle est propice à la contemplation métaphysique. Mais nous vous le jurons, Jean Jacques aurait été à bicyclette que ses rêveries se seraient arrêtées au ragout de la taverne du coin. Ainsi, à défaut de penser par nous-même, nous pensons par procuration en écoutant des podcasts de France Culture. Nous laissons aux têtes ou semi-têtes du moment le soin d’orienter nos cyclo réflexions. Certaines émissions sont devenues des classiques : l’Esprit public, Concordance des Temps, Réplique, les Cours du Collège de France ; et leurs animateurs, de vieux amis. On les retrouve par tout temps et tout relief, s’affranchissant des lois de l’espace, nous portons leur prose et leur verve jusque dans les endroits les plus reculés de la terre. Ils sont cet ami imaginaire qui nous récite patiemment la leçon du jour. Bourlange pour l’art du crachoir, Thierry Pêche pour le fétichisme du chiffre, Frantz Grenet pour l’histoire, Bellamy pour la philosophie accessible et Finkielkraut pour la peau des biens pensants. Bien sûr, nous essayons de répartir au mieux nos faveurs pour ne pas faire de jaloux et alternons régulièrement. D’ailleurs, nous avons tellement de temps que trois après-midis passées sur l’historiographie des historiens historiographes de l’histoire de Pendjikent de 1245 à 1258 ne porte pas à conséquent sur six mois.Après il ne faut pas se mentir, il y a de bons et de mauvais élèves. Les studieux qui courageusement s’écoutent les trente émissions de la chaire centrasiatique du Collège de France. Les plus dissipés qui entre deux serrages de pince Ouzbeck, la photo du troupeau de Yack et le coucou aux enfants, écoutent d’une oreille nonchalante et pour la troisième fois l’histoire de l’Aiglon ou les débuts du spiritisme en France. D’autres, encore plus fainéants, écoutent des romans et font leur deuxième suée en imaginant la grasse et désirable Nana nue lors de sa première au théâtre des Variétés. Les podcasts de France Culture sont nos bonbons, nos friandises intellectuelles. Ils permettent de s’évader de la monotonie de la route et d’oublier les souffrances du corps. Je suis gelé, transis, congelé mais Finkielkraut me chuchote quelques vérités oubliées et après tout l’issus des élections européennes est à prendre plus au sérieux que mes histoires de pieds mouillés. Le savoir encyclopédique de Diderot et Alembert, la culture universelle des Lumières accessible depuis son guidon. L’honnête homme du XXI -ème siècle serait-il l’homme à vélo ?