Tranches de vie

Chapeau

“Chapeau Messieurs ! Chapeau pour ce que vous faites!” C’est ce que nous croyons lire dans les yeux des autochtones que nous croisons. C’est donc pour leur faire plaisir que nous avons choisi d’investir dans des chapeaux en feutre bleu et noir cerclés de cuir. Lassés du casque Robocop decathlon, de nos cheveux gras au vent ou de nos grands fronts apparents, c’est unanime que le remède du couvre chef s’est imposé. Négociés dans le village d’Olgii à l’est de l’Altaï en Mongolie, ils ne nous quittent plus et nos vies ont changé depuis. Certaines mauvaises langues diront coquetterie de jeunes aventuriers en fleur, nous leur répondrons qu’il faut le porter pour savoir et que les vas nu tête ne peuvent comprendre la philosophie des têtes bien couvertes. Le chapeau est un art de vivre, un bon gout charmant qui vient de nos pères. Le haut de forme noir et luisant du banquier enbourgeoisé, le plus petit à melon du jeune homme du monde, celui en feutre gras et bord large de l’aieul à barbe Hugo. Pendant longtemps les hommes ont vécu couvert et seule la messe du dimanche dévoilaient les cranes de ces bonshommes enchapotés. En grands nostalgiques des modes de l’autre temps, nous avons craqué.Les bienfaits du chapeau sur la vie d’un bel homme sont multiples :1. Les femmes regardent d’un oeil différent l’homme à chapeau: de vagabonds loqueteux, nous naissons galants gentilhomme et c’est bien bas que nous saluons désormais ces dames en nous découvrant la caboche.2. Les hommes respectent l’homme à chapeau: la mine goguenarde et l’air légérement moqueur ont laissé place à la déférence la plus extrême, mendiant un geste d’amitié, un signe de camaraderie, nous comblons ces braves lorsque clignant de l’oeil, nous pinçons le bord droit du chapeau.Hélas, le chapeau est aussi le signe annonciateur d’un périple qui se termine. A quelques semaines de pédales d’Oulan Bator, nous avons par ce caprice vestimentaire déjà initié notre retour dans la communauté des hommes, dans la civilisation des gens bien soignés et bien douchés. Et c’est avec émotion que nous appréhendons la scène. Tous les quatre, les roues croisées sur la grande place de Oulan Bator, fatigués mais heureux de notre grande course eurasiatique, tombant dans les bras des uns des autres, nous disant les yeux plein de larmes : “Chapeaux bas, vieux frères”.