Récit de voyage

Nos premiers pas sogdiens

Le voyageur au long cours inscrit son périple sur les traces d’une grande épopée, dans les pas d’un grand conquérant ou d’un illustre frère voyageur. Le passage d’une frontière naturelle comme le grand Amou Daria encourage ce genre de cinémas. Ainsi en franchissant l’antique Oxus, nous mettons nos coups de pédales dans le sillage de Bucéphale, à la tête des armées macédoniennes du grand Iskander. La comparaison est honnete et les parallèles ne manquent pas. Jeunes, dans la force de l’âge nous sommes partis des confins de l’Occident pour rouler sur l’Asie. A la formation en phalange nous préférons le peloton et notre lourde cavalerie d’acier ne souffre aucune résistance. Un à un nous avons soumis les cols enneigés, les déserts arides, les terribles diarrhées et les arnaqueurs les plus zélés. Deux millénaires plus tard une nouvelle épopée, fulgurante, se joue en perse et nous ressentons les mêmes appréhensions qu’Alexandre en son temps. L’Ouzbékistan s’est fait connaître par ses routes défoncées, une population fière et belliqueuse, un patrimoine culturel en danger et surtout un papier cul reche, irritant et plus vallonné que le pays lui même. Non vraiment après la folie turkmène, la Transoxiane s’annonce comme l’inévitable creux du voyage. Ce moment ou les volontés faiblissent, le courage s’érode et la nostalgie vous gagne. 

Pour le moment le moral est à flot et même la perte de notre drone a la frontière ouzbek n’a pas su le faire tanguer. D’un pas résolu nous pénétrons en Sogdiane. Qui sait, peut être y trouverons nous aussi notre Roxane.

Dans ce plat pays, un fragile équilibre est maintenu entre les mauvaises et bonnes surprises du voyage. Les désagréments d’une route défoncée sont mis en balance avec l’incroyable profusion d’abricotiers qui ploient sous le poids de leurs fruits. La rudesse des services de l’immigration qui nous réveillent au beau milieu d’une charmante ferme ouzbek pour nous faire déguerpir est pardonnée lorsqu’un flic local nous paye la chambre d’hôtel. Même l’infâme papier cul national, pire engeance du démon est mieux supporté dès lors que la supprime;atie des toilettes turques est contestée par quelques bons trones à l’occidental.

 

Ce subtil équilibre entre emmerdements et enchantements est bien le propre de l’Ouzbékistan. En deux jours nous atteignons Boukhara, deuxième ville sainte du touriste américain en Asie centrale. Nous atteignons le centre hôtelier de la ville qui semble avoir remplacé les centre historique. La ville se targue de ses 130 madrassas, mosquées et autres bazars classés à l’Unesco mais on y trouve plus d’hôtels flambants neufs gorges de touristes et de valises à roulettes. Ce retour à la vie occidentale dans la capitale intellectuelle de la Transoxiane islamique nous surprend mais n’est pas pour nous déplaire. Très vite nous nous débarrassons de nos costumes de cyclistes sales et fatigués et pour aller battre le pavé au milieu des groupes de touristes, entre les Starbuck les madrassas du XIII siècle. Bien que le charme et la splendeur des grandes mosquées subsistent, la ville s’apparente plus à un vaste parc d’attraction culturel. Rihanna et Eminem sont les nouveaux muezzins de la ville, les échoppes d’artisanat local ont été jeté hors les murs par les vendeurs de portes monnaie, de déguisement mongols et de couteaux taïwanais authentiques. Après la douloureuse conquête omeyyade, la ville cède de nouveau à l’envahisseur. C’est un paradoxe bien connue,chaque touriste déplore  le nombre trop grand de ses congénères dans ces endroits jugés “trop touristiques”, “pas assez authentique”. Nous profitons donc sans réserves de la connexion Wifi ultrarapide, des cafés climatisés, des douches chaudes et des itinéraires bien tracés tout en nous lamentant sur le sort de cette ville aseptisee.Il faut se convaincre que nous n’y sommes pour rien. Rendons tout de même aux sogdiens, aux timourides, aux turcs et aux arabes les hommages qui leurs sont dus. Traversant les âges, Boukhara est devenue et reste une ville somptueuse, d’une densité culturelle rare, d’une richesse architecturale impressionnante et d’un poids historique immense.

Boukhara est notre première conquête ouzbek et fut la première ville à tomber aux mains des arabes. Au VIIIe siècle, le grand Kutayba, gouverneur du Khorassan et général en chef des armées arabes en Asie centrale, marche en 712 contre Samarcande. Reproduisant quelques siècles plus tard cette geste historique, nous dépoussiérons l’épée de l’Islam, l’étendard omeyades et sur nos purs sangs en 26 pouces, portés par le vent des steppes, nous roulons sur la grande ville marchande, l’antique Maracanda.

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