Récit de voyage

Sur les rives du lac Orumieh

Un petit matin de printemps, à 2000m d’altitude devant la frontière turco-iranienne, le vent souffle et la tempête fait rage. Nous sommes tirés de notre léger sommeil par un drôle de concert qui vient réchauffer nos oreilles engourdies. Ce matin se joue une fantastique cacophonie. Sur la droite, une file infinie de camions soviétiques hurle un puissant air de klaxons impatients. Sur la gauche, la foule de camionneurs, agités et tendus par le froid donne de la voix tandis qu’une meute de chiens errants lance au milieu de la cohue une triste complainte. Enfin, si le vacarme faiblit, que les voix s’enrouent le vent à son tour lance son chant. Terrible, puissant et inépuisable, son souffle joue sur les versants abrupts de la montagne une musique froide, aigüe et austère.
Au milieu d’une forêt de préfabriqués, nous émergeons et quittons notre habitat nauséabond. Les cheveux gras, les yeux encore collés, nos visages sont marqués par les cernes et la crasse. Nous finissons la Turquie sur les rotules. Elias se fait l’hôte d’une redoutable gastro que nous nous échangeons tour à tour depuis 1 mois et qui ne lui laisse que pu de répit la nuit. Comme des fantômes, nous plions la tente sous la neige et nous dirigeons vers le poste frontière depuis lequel, un petit turc avec une épaisse moustache noire tente de donner la mesure à ce formidable orchestre qui trépigne devant sa porte.

50m plus loin, nous quittons la Turquie et nos adieux à ce formidable pays auront la solennité d’un tamponnage de passeport hâtif sur un fond d’électro turc par des policiers désœuvrés. Nous passons la frontière iranienne avec une facilité déconcertante, Elias se retient de vomir sur les bottes des pasdarans et nous passons sans encombre en Iran. Dans des conditions dantesques, nous suivons le cours d’un torrent impétueux qui ondoie entre d’imposants sommets enneigés que nous apercevons par intermittence à travers la tempête. Les pieds gelés, le visage battus par la grêle, nous dévalons la route pendant 2 jours jusqu’à Khoy, porte d’entrée du grand plateau azerbaïdjanais et oasis météorologique dont nous profitons pour réchauffer nos doigts de pieds.

Après avoir expérimenté tantôt l’hospitalité iranienne, tantôt leur sens de l’arnaque professionnelle, nous nous élançons à travers ce vaste plateau, le long du lac Orumieh. Parcourant ces grandes routes bordées de montagnes enneigées, nous laissons libre cours à notre imagination et faisons réapparaître les grands empires et affrontements qui jalonnent l’histoire de cette région. Des Guti aux Safavides en passant par les Mèdes, nombreux sont les peuples qui ont fait de ces grandes étendues le socle de leur conquête du Moyen Orient et de leur vaste empire. C’est ici aussi, que le grand Hulagu, fléau mongol et magnifique conquérant, après avoir soumis Bagdad et l’Anatolie, vint s’éteindre, sur les rivages du lac Orumieh. Pavant devant sa tombe, nous baissons humblement la tête et pensons à notre propre conquête : celle du prochain kilomètre.

La grande route qui traverse tout l’Azerbaïdjan iranien réserve peu de surprises. Les étapes sont longues et es kilomètres défilent. Nous nous laissons pousser par une bonne brise qui nous surprend parfois le soir par le froid rigoureux qu’elle installe sur le plateau. Les iraniens eux-mêmes nous l’expliquent : jamais depuis 10 ans ils ne se sont autant pelé les miches à cette période de l’année. Un tel constat nous laisse circonspect alors que notre route doit s’établir à plus de 2000m pour les 2 semaines à venir.

Résignés, nous sommes toutefois réchauffés par l’accueil iranien dont nous expérimentons la chaleur et la spontanéité. Tantôt sur la route en haut d’une montée lorsque l’on nous installe autour d’un samovar brûlant et que l’on nous fait ingurgiter des doses de théines à n’en plus pouvoir dormir ; tantôt le soir lorsque la nuit tombante au milieu de la ville industrielle de Salmas on nous invite à passer la nuit dans une galerie de voitures Renault, réchauffée par le ballet incessant des véhicules entreposés. La proximité des pots d’échappements iraniens est devenue une habitude. Nous distinguons maintenant toutes les subtilités olfactives qu’ils dégagent et savons en identifier la marque. Zamyad, Saipa, Renault, Peugeot ou encore Iran Khodro, tous sont vite devenus des compagnons de route le long de cette grande nationale que nous suivons depuis 4 jours.

Lorsque par bonheur nous repérons sur la carte une petite route qui s’éloigne du grand axe pour s’aventurer dans les montagnes environnantes, nous nous y engouffrons sans hésitation. Ces quelques incursions, loin des camions et des klaxons, nous offre des paysages absolument fantastiques. Alors que nous parcourons l’une de ces vallées enchanteresses, nous sommes une nouvelle fois accueilli dans un charmant petit jardin côtoyant un élevage de poissons au bord de la rivière. Une balade mémorable s’en suit. Nous atteignons à pied un des sommets de la grande chaîne du Zagros d’où nous apercevons ce grand mur blanc qui donne corps à la frontière irakienne. Ce mur immense aux versants acérés éveille en nous les souvenirs lointains de ces remparts surnaturels, infranchissables. Comme le Mordor, on se dit que cette muraille doit être l’œuvre d’une force surnaturelle ou divine. Peut être celle de ces dieux antiques qui selon les croyances locales, ont combattu en ces lieux et façonné ainsi le mode des hommes.

Quelle qu’en soit son origine, ce mur de glace sera notre compagnon de route pour les prochaines semaines et pas un seul coup de pédale ne sera donné loin de son imposante et majestueuse silhouette.

 

Ces quelques jours passés en dans l’Azerbaïdjan iranien, sur les larges routes de la plaine d’Orumieh ou dans les basses vallées azéries, furent une vraie oasis dans ce désert de montagne. Epargnant nos cuisses et nos mollets il nous offrait le repos nécessaire pour aborder les prochaines étapes hautes et ardues du Kurdistan. Nous y retrouverons sans aucuns doutes des considérations plus terre à terre : le nombre de mètre restant à gravir, le menu du soir ou encor la quantité de pâtes servies dans l’assiette du voisin. Nous retrouverons un quotidien qui quoi qu’on en dise à posteriori, ne quitte jamais totalement le cycliste en voyage. Surtout en plein ramadan.

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