Récit de voyage

En descendant de la montagne

Entre le Tigre et l’Euphrate, au beau milieu de la campagne d’Adiyaman, un peloton bariolé de couleurs vives, bleues, oranges, vertes, se détache des paysages grandioses de la plaine mésopotamienne. Nous roulons à vive allure, poussés par des vents favorables sur une grande départementale qui découpe les monotones plaines verdoyantes s’étendant à perte de vue. De vallons en vallées, la progression est rapide et aisée. Les péripéties de la semaine écoulée sont déjà de lointains souvenirs glacés, quoique à jamais gravés dans nos mémoires de voyageurs. Hier après un énième col enneigé, nous avons entamé une interminable descente, celles dont raffole les pèlerins cyclistes dont les cuisses ont été mises à rudes épreuve. Les versants abruptes et austères du Kili Tepe, déchirés par les vents et la tempête cèdaient leur place à de somptueuses vallées recouverte d’une herbe rase et d’un vert vif qui rappelle à certains les lointaines montagnes du Landmannalaugar islandais.

L’altitude ne cessait de chuter alors que le mercure retrouvait des niveaux qu’il ne côtoyait plus depuis deux longues semaines. A la faveur de ce redoux salutaire, les habitudes changent et les esprits se dégourdissent. Tandis qu’Elias, au gré de la descente se dénude jusqu’à laisser apparaître sa peau écarlate de finlandais en arborant pour la première fois du voyage un t-shirt à manche courte; Arif engage la conversation avec les tout premiers kurdes que nous croisons sur notre route. Si la négociation d’un transport en camionnette pour les derniers km tourne court, nous avons le temps d’observer l’habit kurde, arboré fièrement par la petite troupe de vieux attroupés autour de nous. Plongés dans une grand sac en toile épaisse et aux allures de Sarwell (Chalva en kurde), ils portent un large pull recouvert d’un petit veston. Un fin bonnet de laine, proche de la kippa, dispute le sommet des ces crânes souvent dégarnis au keffieh blanc et noir.

Bien installés sur nos vélos dans la chaleur des soirées en bord de départementale, nous filons vers Kahta et les contrées ancestrales Commagène. Cet empire fait partie de la multitude de puissances éphémères mais illustres qui se sont partagée le vaste territoire anatolien, parvenant à côtoyer sans s’éteindre les empires romains puis parthes, sassanides puis safavides. Parfois même certaines de ces populations semi nomade menées par un roi à l’hybris trop grand pour leur petite royauté, parvenaient à sortir des tréfonds de l’histoire pour renverser le grand empire voisin et parvenir en moins de 10 ans à la tête d’un royaume démesuré.

Ce ne fût pas le cas des Commagène dont la mémoire fût balayée par l’histoire et qui ne ressurgit aux oreilles du touriste européen que par la voie d’un faux guide à l’anglais maladroit au sommet du mont Nemrut. Ici à plus de 2000m repose le roi Antioche Ier, veillés par les gigantesques statues de dieux grecs et zoroastriens ainsi que par la poignée de touriste qui a fait le pari d’un lever très matinal pour ajouter à son album de voyage un superbe lever de soleil sur ce tumulus du fond des âges.

Tels des oiseaux migrateurs fuyant le froid que nous avons trop côtoyé, nous redescendons vers l’accueillante plaine de DIyarbakir et ses grands lacs artificiels. Les étapes sont longues mais faciles et plus que les paysages ensoleillés de mésopotamie nous nous souviendrons de nos nombreuses soirées partagées avec nos amis kurdes. Tantôt au fond d’un misérable village de campagne, tantôt dans le gourbi d’un jeune coiffeur de SIverek, ou encore sur les bords du grand Euphrate, nous découvrons une population en tout point fascinante. Rivalisant d’hospitalité avec les meilleurs Mohtar turcs, ils nous ont pris sous leur aile et emmené au coeur de leur vie quotidienne. De la boulangerie du village au stade de foot en passant par la maison du riche Muhammad. La population des villages est plus jeune, les champs sont laissés en friche et la plupart des paysans d’hier ont cédé aux sirènes des grandes villes: Diyarbakir, Siverek voire Istanbul.

Enfin, la fierté légendaire de ce peuple attachant ne manque pas de se manifester à nos oreilles. De la bouche du petit enfant comme de celle de l’aïeul du village, il nous est rappelé que nous avons ici quitté la Turquie. Jusque sous les grandes murailles de Diyarbakir, ville éternelle et capitale de la région,et à longueur de journées, tout le monde nous le susurre à l’oreille: Bienvenue au Kurdistan !

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