Récit de voyage

Turkménistan, si blanc, si blanc

Le plateau de Sarahs au nord est de Mashad est une vraie curiosité naturelle. De grandes dunes s’étendent à perte de vue, couverte d’une herbe rase, dorée par la chaleur écrasante du soleil. Collines vallons et étroits défilés sont autant de témoins du passé montagneux de la région. Assiégé au nord par le et au sud par le Dasht-e Kavir, le relief cède progressivement aux assauts de la grande steppe. Les vents chauds du désert poncent rabotent et polissent la gloire passé de ces hautes montagnes.

Derrière la vitre du train nous contemplons ce paysage désertique et si particulier. On imagine les hordes de Tamerlan dévalant ces pentes arides pour mettre à feu et à sang la perse entière. Inexorablement, la locomotive file vers la frontière turkmène et nous entraîne avec elle à la découverte d’un pays ô combien mystérieux. Lassés de la monotonie des grands espaces, contraints par les conditions drastiques de notre visa de transit, nous avons désossé nos vélos pour tenter l’aventure du rail. En dépit de l’attachement de Matthieu à notre « empreinte carbone absolument nulle », c’est à bord d’un train à mazout que nous pénétrons au Turkménistan.

Une après midi durant, nous sommes aux prises avec la douane turkmène. Aux premiers abords, les jeunes policiers en service militaire dénotent avec les sérieux des pasdarans iraniens. A l’ombre de leur guérite accoutré d’un costume à mi-chemin entre le cowboy texan et le pêcheur de la creuse, ils lancent à notre passage de grand « Hello ! ». Quelle n’est pas notre surprise lorsque 100m plus loin ces jeunes douaniers débonnaires enfilent le masque d’officier de la Stasi, fouillant minutieusement nos sacoches et nous rudoyant à propos de notre itinéraire. Secoués par la rigidité et la véhémence des services de l’immigration, nous reprenons nos esprits au fond d’un taxi pour Achgabat.

Dès le passage de la frontière, nous sommes impressionnés par le changement de culture radical.  Les faciès ont changé. Les yeux sont plissés, les pommettes tirées et les sourires dorés. De la Perse rien ne subsiste. Le Plov a remplacé le Dizi, les raviolis se substituent aux Bakhlavas et la grande burka noire cède la place à de superbes robes à fleurs. La conduite folle des chauffeurs de taxi est notre seul repère. Ici le code de la route est identique à son voisin père : il n’existe pas.

De la rase campagne turkmène, plate et inhabitée, nous sommes projetés à 160 km/h vers les remparts d’albâtre d’Achgabat. Cette ville, curieuse, plantée au milieu d’un oasis, dresse ses murailles de marbre blanc à l’ombre de sommets … . Véritable Minastirith du désert, elle n’en a cependant que la blancheur. Dans ses grandes avenues on ne trouve point de Rohirin en armes ou de Nazguls effarouchés mais une armée de femmes et de jeunes conscrits balayant les rues sous un soleil de plomb, au son des sifflets de quelques policiers énervés.

4 jours durant nous arpentons les allées vides (et blanches) de la capitale (blanche) à l’ombre des hôtels 8 étoiles (blancs) et des portraits du président, tantôt cavalier, ingénieur, policier ou encore médecin. Privés de la grande course cycliste présidentielle qui a lieu le jour de notre arrivée, nous ne manquons toutefois pas de bien remplir nos journées.  Entre les passionantes rencontres entrepreneuriales et francophones, les 23 ans de Matthieu, le restaurant et la piscine de la base vie Bouygues, nous n’avons même plus une minute pour nous !

De la bouche de nos interlocuteurs français et turkmènes ressurgit par instant le passé glorieux du pays. Cette histoire, enfouie sous des oléoducs chinois et des tonnes de marbre blanc est soutenue à bout de bras par quelques missions archéologiques russes et françaises. Les prémices de la civilisation de l’Oxus, les traces de la grande Bactriane, les richesses de la Merv omeyade puis abbasside et ls tentes des terribles tribus parthes semblent ç jamais perdues dans le désert. La première attraction touristique du pays, la « porte de l’enfer » est un ancien site d’extraction de gaz. Bien loin devant les ruines de Nissa, la cité d’Alexandre. De ce tragique oubli il est un rescapé. Traversant les empires, participant aux razzias et aux conquêtes, con culte et sa mémoire n’ont pas encore été ourdi. L’Akalteppe, le cheval des steppes, bénéficie encore du statut de « lubie présidentielle ». Bien qu’il ait conservé son, allure, sa beauté et sa réputation, ce statut semble pourtant menacé par la nouvelle maîtresse du président : la bicyclette.

Plongés au cœur de la très vivante communauté française expatriée, notre expérience turkmène restera gravée dans nos esprits comme un éclair (blanc) de démesure, de fascination, d’incohérences et de corruption. Ravis et fatigués de notre expérience dictatoriale, nous montons à bord du train pour Turkmenabat. En une nuit nous franchissons les 500 km qui nous séparent de la frontière ouzbek. Sur lest traces d’Alexandre, à rebours de grandes chevauchées parthes et de la Horde d’or, nous pénétrons dans le cœur historique des grandes civilisations asiatiques. Alors que nous approchons des rives de l’Amou Daria nous entendons déjà résonner le rythme des dambouras, le chant des madrassas et le vent des steppes. Quelques instants plus tard, ca y est Oulanbike a passé l’Oxus.

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