Récit de voyage

De Yazd à Tabas, le désert du Dasht-e Kavir

Le désert du Dasht-e Kavir : grande étape de notre passage en Iran. Bien qu’elle soit bien plus courte que celle des monts Zagros, nous l’attendions avec impatience malgré quelques appréhensions qu’elle générait en nous. De quel type de désert s’agira-il exactement ? La chaleur sera-t-elle surmontable ? Y aura-t-il régulièrement des points d’eau ? Y aura-t-il des bêtes sauvages ? Serons-nous seuls, livrés à nous-mêmes ? Traverser un désert est une première pour nous tous, et cette expérience nous aura bien réservé des surprises.

C’est en début d’après-midi que nous quittons Meybod, charmante ville au bord du désert, pour nous diriger vers le nord. Pendant que nous roulons encore dans la ville, chacun pense, selon son imagination, à l’environnement dans lequel nous nous apprêtons à nous lancer. Dans ces pensées, au fur-et-à-mesure, les bâtiments se raréfient, une légère brise commence à se fait sentir, nous passons des drapeaux de deuil noirs, pour finalement arriver au bord du Dashht-e Kavir. Nous profitons du dernier point d’eau avant une durée indéterminée. Nous remplissons nos bidons d’environ 10 litres en espérant qu’ils feront l’affaire. Nous équilibrons ces 10 kg supplémentaires sur nos sacoches arrières, chacun à sa manière, sous les rappels d’itinéraire de Jules : la première étape consiste en pratiquement 200 km jusqu’au prochain village, Choppanan. Nous n’avons aucune garantie de la présence de quoi que ce soit en deçà de cette opportunité de ravitaillement. Nous enroulons nos foulards autour de nos têtes en faisant quelques remarques sur nos styles plus ou moins ridicules, puis nous nous lançons pour de bon en espérant qu’ici, les oasis n’existent pas seulement sous forme de mirage… Nous n’avons, le premier jour, qu’une après-midi devant nous. Sous le regard d’un grand massif au loin, les premiers coups de pédales sont donnés sans aucun drame. Il fait chaud, mais c’est supportable. La route bitumée en bon état nous permet de bien avancer malgré le léger vent de face. Rapidement, nous faisons la connaissance d’un phénomène qui se révélera plutôt courant par la suite, les tourbillons de sable. Ils se trouvent généralement loin de la route, mais certains ne se gênent de s’y rapprocher et même de la traverser. De 3 à 10m de haut, ils sont inoffensifs, mais gare à ceux qui se posent sur votre chemin et qui vous aveuglent pour tenter de vous ralentir. Sur la route infinie en ligne droite qui plonge entre 2 massifs à l’horizon, nous constatons que nous sommes loin d’être seuls à l’emprunter. Si une chose n’a pas disparu avec le désert, ce sont les camions. Nous spéculons alors sur l’éventualité que les conducteurs aient de l’eau en réserve. Sur une portion de 200 km, les chances sont effectivement plutôt bonnes. Quoiqu’il en soit, nous aurons, ce jour, suffisamment d’eau pour cuisiner nos habituelles pâtes du dîner.

Le soir arrivant, l’intérêt pour la recherche d’un camp pour dormir se généralise, mais au milieu du vaste étendue de cailloux mêlés à la fine couche de sable chaud, difficile de se décider. Nous continuons à rouler malgré la fatigue de chacun, en espérant qu’un lieu remarquable fasse son apparition. Finalement, en sortant de la vallée, un virage à gauche oriente doucement nos regards vers ce qui semble être… des palmiers ! L’espoir jaillit. Sous la lumière orange du crépuscule, nous nous rapprochons et arrivons au pied d’une oasis, petite, mais plus que satisfaisante. Après autorisation, nous y plantons enfin notre tente. Cette première journée fut une initiation au désert, mais c’est seulement le lendemain matin que nous découvrirons ses pires bêtes.

C’est effectivement le lendemain, pendant le petit déjeuner que nous faisons connaissance de la pire bête que nous aurons rencontré pendant cette traversée. Non, il ne s’agit pas du serpent ou du scorpion, mais bien de … la mouche ! Certes inoffensives à première vue, elles sont cependant nombreuses. Elle savent se rendre détestables. Elle viennent titiller les recoins les plus sensibles : la bouche, le nez, les oreilles. Comme si cela ne suffisait pas, elles organisent des invasions de notre pain et de notre confiture. Un pot laissé à l’air libre plus d’une minute ne sera plus consommable. Pires ennemis de Nicolas Bouvier, celui-ci leur a consacré 5 pages d’acharnement. Nous reprenons nos vélos toujours direction le nord. Ce cap nous permet d’éviter d’avoir le soleil dans les yeux. Toutefois, il fait plus chaud que le jour précédent, et le vent de face est plus fort. C’est un jour plus physique qui nous attend. Ajoutons encore qu’après avoir déjeuné sous un pont en construction, nous nous sommes rendu compte que notre eau ne suffira pas jusqu’à Choppanan, qui se trouve encore à environ 80 km, et que nous n’atteindrons pas aujourd’hui. Avec cet enjeu de l’eau en tête, nous continuons à rouler sous la chaleur de plus en plus étouffante. Si le vent est généralement considéré en cyclisme comme un vecteur rafraîchissant, les rafales de vent dans le désert se retournent contre nous en donnant un ressenti encore plus chaud. C’est dans ce contexte que nous arrivons à une étrange structure blanche, en forme d’escargot, au bord de la route. Nous y jetons un œil et découvrons un escalier en bas duquel nous apercevons un robinet ! Nous goûtons l’eau… et la recrachons presque instantanément : un étrange goût accompagne celui du sel, bref elle est imbuvable. Déçus, nous faisons le tour de la structure et découvrons, en amont du robinet, à travers de larges fentes un grand réservoir couvert par un dôme dont le toit est troué. L’eau qu’on venait de boire était probablement de l’eau de pluie qui s’est salie avec le temps et où des ordures se sont invitées. Nous nous apprêtons à repartir quand un camion vient s’arrêter devant nous. Un petit corps trapu sort et, après quelques échanges, décident de nous offrir une pastèque. Offre qui, naturellement, ne se refuse pas dans ces conditions ! Avant les adieux, il nous propose encore de nous donner une grande bouteille d’eau, ce qui se refuse encore moins. Nous admettons alors que tous les chauffeurs de camion seront probablement capables de nous dépanner en eau. En avançant dans la journée, nous commençons à gagner également en altitude. Le dénivelé n’est pas chose inconnue pour nous, mais c’est la première fois qu’il est couplé à la chaleur. La montée
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est rude, et l’eau se fait rare. Nous décidons de nous arrêter provisoirement pour tenter d’en récupérer auprès de chauffeurs. Si notre théorie est vraie, sachant qu’un camion passe toutes les 3 minutes, nous devrions faire le plein rapidement. Première tentative, Jules et moi agitons les bras et nos gourdes vides à l’approche d’un camion. Comme par magie, il s’arrête, et un bras nous tend instantanément une grande bouteille d’eau fraîche. C’est plus facile que prévu. Seconde tentative, même technique. Cette fois, le camion ne s’arrête pas, mais la fenêtre s’ouvre et une bouteille volante en surgit pour atterrir entre mes mains, incroyable ! Et rebelote jusqu’à ce que nous ayons de quoi survivre jusqu’au lendemain midi. Après ce plein, nous continuons de monter avec l’intention de trouver un camp rapidement. Une grande étendue finit par s’ouvrir à notre droite : des indices comme des motifs en zigzag sur la boue durcie caillouteuse nous font comprendre qu’il s’agit d’une rivière asséchée. Epuisé, Arif s’endort au bord de la route tandis que Matthieu et Jules s’aventurent vers ce qui semblait être une vallée de l’autre côté de l’ancienne rivière, où ils trouveront finalement un camp. Pendant ce temps, je remarque que les couleurs sont les mêmes que celles que nous avions en Cappadoce, un orange vibrant réfléchi par la roche du massif.

Le troisième jour fut marquant par la chaleur qui était à son comble. La matinée se finit par une descente vers Choppanan, dont nous ne profitons pas en raison du fort vent chaud de face.
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Après le déjeuner au village, nous repartons quand le soleil est à son zénith. Mais pas question de traîner, Garmeh, une grande oasis, se trouve encore à plus d’une centaine de kilomètres. Dans cette course, la transpiration nous accompagne et se manifeste sous plusieurs formes. Des gouttes régulièrement espacées apparaissent sur les bras, mais ne se subsistent pas longtemps en raison du vent chaud qui assèche la peau, sur laquelle il ne reste que le sel de la sueur. Certaines gouttes tombent du front sur les yeux qui se mettent à piquer. Sur les t-shirts de chacun, elles dessinent des formes presque artistiques. Nos bidons, à peine étanches, laissent couler des gouttes d’eau qui donnent l’impression que nos montures suent autant que nous. A la fin d’une telle journée, la satisfaction ne peut être plus grande lorsque nous atteignons enfin Garmeh, ou nous dinons dans une mosquée dans une ambiance presque festive, où les habitants se sont regroupés pour casser le jeûne.

Avant de partir le lendemain, nous visitons l’oasis pour découvrir son organisation. Nous découvrons des canaux d’irrigation, de quelques dizaines de centimètres de large, qui encadrent de grandes parcelles de palmiers. A chaque ramification des canaux, des sortes de portes y sont montées pour laisser couler l’eau ou au contraire la bloquer. Principe si simple et rustique, mais pourtant intéressant à observer. Un travailleur souriant est fier de nous faire une démonstration. Il soulève un bloc de pierre pour laisser couler l’eau qui file en masse vers le grand espace vert. Nous remontons le canal principal pour trouver la source, et finissons dans une petite grotte ou se trouve un bassin d’eau bien claire. L’eau vient de la montagne en se frayant un chemin à travers la façade de la grotte pour finir dans ce bassin grouillant de poissons.

L’après-midi, après avoir traversé Khur, nous continuons vers l’est pour rejoindre une très longue ligne droite de 70 km, à l’est de Khur. Si cette route est infinie, l’environnement qui nous entoure, lui se transforme. Dans un premier temps, des dalles de terre craquelée apparaissent. Des dromadaires sauvages accompagnent ce paysage, et nous n’hésitons pas à nous arrêter pour leur passer le bonjour. Assez surprenant, ils se laissent facilement approcher, et nous en profitons pour immortaliser ce moment.

Dans un second temps, le paysage rouge orange se métamorphose, blanchit et laisse place à un désert de sel. Stupéfaits de ce paysage inattendu, nous quittons la route pour nous y enfoncer, et, finalement, décidons de camper dessus. Nous préparons notre dîner, salons nos pâtes avec ce sur quoi nous comptons dormir. En installant la tente, nous remarquons qu’il n’y a probablement pas beaucoup de vie sur ce désert de sel, et que nous pouvons finalement dormir à la belle étoile sans craindre les insectes. Estimation qui se révélera fausse le lendemain matin, quand nous découvrirons nos sacoches pleines de papillons et de scarabées… Toutefois, nous nous endormons sans suspicions sous le regard de la voie lactée.

Nous aurons donc vu le désert sous de nombreuses formes : les grandes étendues de fine couche de sable caillouteuse, les montagnes, les oasis, les dalles de terre craquelée, le désert de sel… Cependant, un aspect du désert nous manquait encore, et finit par nous parvenir. Après la fin de la longue ligne droite, la route se remet à prendre vie au milieu d’un espace où le sable se fait de plus en plus abondant. C’est alors que les dunes surgissent. Stéréotypes du désert, il fallait bien en
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observer ! Elles sont plus impressionnantes que ce à quoi on peut s’attendre. Comment un environnement aussi chaotique que du sable livré au vent capricieux peut-il donner des formes aussi harmonieuses et précises ?

Ces paysages furent traversés en l’espace de quelques dizaines de minutes seulement, après lesquels nous réfugions dans un grand cylindre en tôle laissé à l’abandon au bord de la route, dans lequel nous profitons du dernier déjeuner avant la grande ville Tabas.

Nous décidons d’y arriver coûte que coûte le soir même, ce qui exige un nouveau record du nombre de kilomètres dans une journée : 140. Le soir approche, il ne reste plus que 30 km avant retrouver de la civilisation, nous déclare Jules. Ces mots retentissent dans l’esprit d’Arif, qui s’envole à vive allure. On ne le reverra plus, jusqu’à cette supérette en banlieue de Tabas qui marquera la fin de l’épisode du désert. Tous épuisés par ces nombreux kilomètres dans les pattes, chancelants, la vision d’une supérette derrière des pancartes de glaces et des tas de fruits, qui apparaît, est une euphorie que peu de personnes ne peuvent comprendre. Le désert a été une bonne surprise et fut extrêmement varié.

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