Tranches de vie

Les mouches et le désert du Dasht-e Kavir

S’il existe des ponts entre les voyageurs des siècles voisins, c’est à travers les petits enquiquinements du quotidien, ces doux emmerdements qui transfusent la mémoire des hommes. La mouche asiatique en fait partie. Bouvier leur a consacré cinq pages, généreusement tartinées dans son Usage du Monde, peut-être pour rattraper les centaines de tartines de confiture gâchées par ces saletés. Nous avons cru bon, un demi-siècle plus tard, d’en remettre une couche.

Le lieu est le même : les étendues brûlantes du désert du sud est iranien, le Dasht-e Kavir.
Le moyen de locomotion a changé avec son temps : La Fiat Topolino désormais bavure écologique impardonnable a été troqué contre le bien plus respectueux vélo.

Mais la bestiole reste la même : la mouche.

Un désert à vélo est déjà dur à digérer. La chaleur assomme et le vent fait saigner les oreilles. Tout s’assèche la gorge, les sinus, les yeux. L’insolation monte au même rythme que la descente de la gourde. Et quand au détour d’un mirage d’ombre en bord de route, hagards et fuyants, nous posons pied à terre, nous avons, malheureusement, plus l’air moribond des quatre frères Dalton que le panache de John Wayne.

C’est là, qu’insensible, elle entre en scène. Dans ce désert où il n’y a rien, elle apparait à chaque pause, à chaque pic-nic, à chaque camp. Phénomène biologique inexplicable, elle fout en l’air les théories de Pasteur et rend sa gloire aux plus grandes heures de la génération spontanée. Dans le nez, dans les oreilles dans la bouche, elle ne recule devant rien et ce, bien souvent au prix de sa misérable vie. Ne venant de rien, ne faisant rien, ne servant à rien ne serait-ce empoisonner le monde, nous saisirions volontiers et sans scrupule, le comité de survie des espèces pour rayer, à jamais, cette engeance de la surface de la terre. Pourrissant la moindre parcelle de nourriture et empêchant le moindre repos ou seulement la rêverie sacrée d’un coca cola bien frais, elle rend littéralement la vie insupportable.

Lors de nos interventions en école, une question revient régulièrement : « avez-vous rencontrer des bêtes sauvages ? ». La sauvagerie est souvent là où l’attend le moins. Le jeune spartiate prouvait sa valeur d’homme en chassant le sanglier au poignard. Nous, c’est la tapette à mouche. Question d’époque. Mais le courage, croyez-nous, reste le même.